Boualem Sansal, prisonnier de la raison d’Etat

Publié le 5 juillet 2025 à 17:31

Il a 80 ans, une plume pour seule arme, et l’Algérie officielle pour geôlière. Sa pensée dérange plus qu’un crime, car elle ne plie ni devant l’histoire ni devant le pouvoir. En refusant de le gracier, le régime ne montre pas sa force, mais sa peur. Et pendant que Sansal demeure enfermé, c’est la conscience algérienne qu’on tente d’étouffer.

Ceux qui soutiennent Boualem Sansal l’avaient prédit. Ce 5 juillet, anniversaire de l’indépendance algérienne, aurait pu, aurait dû, être le théâtre d’un geste fort, humain, digne de la mémoire des luttes qu’il célèbre. Mais non ! Désillusion et naïveté.  

Boualem Sansal, 80 ans, figure emblématique de la littérature libre, de la parole affranchie, de la pensée désentravée, n’a pas reçu la grâce présidentielle. Pas même une mention. À l’heure où l’on gracie à tour de bras des détenus selon des critères que seul le pouvoir, en mal d’applaudissements, comprend, sculpte, maquille à sa guise, Boualem Sansal, lui, reste derrière les barreaux… Coupable, non d’un crime, mais d’une pensée trop sincère pour plier.

L’écrivain reste incarcéré. Malade, affaibli, mais toujours debout dans l’esprit… Ce que le pouvoir ne supporte justement pas.

On le dit condamné pour « atteinte à l’unité nationale ». La formule est belle, majestueuse même. Mais creuse, dangereuse, brutale dans son usage politique. Car de quelle unité parle-t-on, au juste ? Celle des silences imposés ? Celle des vérités officielles ? Celle qui confond l’amour du pays avec l’adoration de ses gouvernants ? On sait ce que cela signifie en langage d’État : « Tu as pensé librement. Tu as parlé sans permission. Tu as osé croire que ton pays était aussi le tien. Tu paieras. »

Le président Tebboune n’a pas voulu céder, dit-on. Il ne veut pas « donner l’impression » qu’il obéit à la pression française, médiatique, diplomatique, humanitaire. Dans sa posture, l’humain est effacé par la stratégie, l’éthique par la tactique, la justice par le récit national. Un récit qui, depuis soixante-trois ans, transforme la critique en trahison de l’indépendance.

Car soyons clairs : la France n’est pas ici l’enjeu, elle est l’alibi. Le véritable affront, aux yeux du pouvoir algérien, ce n’est pas que Paris défende Boualem Sansal. C’est que Boualem Sansal n’ait jamais eu besoin d’être défendu par quiconque pour penser. C’est qu’il ait parlé de l’Algérie avec amour, mais sans soumission ; avec douleur, mais sans haine, avec lucidité, mais sans compromission.

Et pourtant, dans cette sinistre pièce qui se joue, il y a une perversion suprême : on laisse entendre que plus on parlerait de cette affaire, moins le président serait enclin à agir. Que le vacarme médiatique retarderait, voire empêcherait, une grâce pourtant si nécessaire. Il faudrait donc se taire pour espérer ? Se résigner, s’effacer, s’autocensurer pour obtenir un geste miséricordieux ? Est-ce là le marché ? Le chantage à l’indifférence ?

Mais qui peut croire à une telle mascarade ? Qui peut imaginer qu’un État que l’on dit souverain, sûr de lui, respecté, puisse être à ce point ombrageux qu’un simple article dans, Le Monde suffirait à le faire changer d’avis… ou à le braquer ? C’est du n’importe quoi. Ce n’est pas la France qui bloque la libération de Boualem Sansal. C’est l’Algérie elle-même.
C’est un président qui  préfère apparaître intransigeant plutôt qu’humain. Qui préfère affirmer sa fermeté plutôt que sa grandeur.

Ce silence présidentiel, c’est un message. Pas seulement à Boualem Sansal, mais à tous ceux qui, en Algérie, pensent encore que la parole peut être un acte de foi, un acte d’amour. On leur dit : « Taisez-vous ou vous finirez comme lui. » Voilà l’ignominie. Voilà le cœur du scandale.

Une indépendance qui nie ses penseurs est une indépendance amputée. Un État qui enferme ses écrivains, ses poètes, est un État qui se prive d’avenir.

Mais nous, de l’autre côté de la méditerranée , de la foi ou de la révolte, nous ne cesserons pas de dire le nom de Boualem Sansal… de dire sa voix… de prendre la plume… de faire vivre sa parole. Nous n’attendrons pas qu’il meure pour l’admirer… nous continuerons à écrire, à dénoncer, à crier s’il le faut. Parce que le silence n’est pas neutre : il est complice et chaque mot que l’on tait devient une pierre ajoutée au mur de sa prison… de son tombeau. Parce qu’écrire pour lui, c’est résister avec lui. Et que tant qu’un seul esprit reste libre, aucun cachot n’est vraiment scellé.

Je suis un catholique libertaire, parce que je crois que la liberté est le souffle de Dieu dans la bouche des hommes. Et je garde la foi, malgré les trahisons, malgré les prisons, malgré les renoncements qui m’entourent depuis tant d’années. Parce qu’au fond, ce n’est pas une affaire de diplomatie. Arrêtons avec cette entourloupe : c’est une affaire de conscience et surtout de hauteur.

Et un jour, oui, peut-être, viendra le temps de la grâce. Pas celle des décrets, mais celle des cœurs. Quand un peuple relèvera enfin ses écrivains plutôt que de les clouer au pilori.
Quand l’Algérie cessera d’avoir peur d’elle-même. En attendant ce jour, restons debout.
Pour Boualem… pour tous les Sansal à venir.

Et que ce président, s’il le souhaite garder la main…Qu’il la garde crispée sur les leviers du pouvoir, posée sur l’épaule des dociles, tendue vers les caméras, refermée sur ses certitudes sans humanité. Mais qu’il sache… oh qu’il sache…  qu’à chaque instant, à chaque décision prise sans écoute, à chaque parole vidée de sens, à chaque sourire fabriqué, il perd un peu plus ce qu’aucun trône ne peut rendre : son âme. Car l’âme ne se vend pas… elle se gagne dans les silences honnêtes, dans les renoncements intérieurs, dans les fidélités coûteuses. Et pendant qu’il garde la main,  le monde littéraire ne perdra jamais la sienne pour écrire… écrire, encore écrire et dénoncer.

Didier Antoine Catholique libertaire insignifiant