Pendant que certains s’indignent du foulard d’une présidente, d’autres nouent le leur pour servir, prier et bâtir. Dans la clairière, l’Évangile n’a pas besoin d’approbation épiscopale pour brûler.

En tant que catholique libertaire, quand j’ai lu dans la presse que les Scouts et Guides de France ont élu à leur tête Marine Rosset, une élue socialiste, pro-IVG dit-on d’elle, j’ai souri… pas un petit sourire évangélique. Elle confirme qu’elle est homosexuelle et que son enfant a deux mamans. Elle a été investie par la NUPES et le Nouveau Front populaire. Là, on ne peut pas faire mieux. Moi qui ai pris mes distances avec l’Église catholique, j’ai souri… non un sourire mystique, mais un rictus amusé, un peu moqueur, voire une ironie douce. Un sourire teinté d’une interrogation : « Que se passe-t-il chez les catholiques subalternes ? »
J’observe la réaction des catholiques supérieurs, qui ne s’est pas fait attendre. Il va y avoir des cris au blasphème, au scandale, au naufrage des âmes. À la noyade des valeurs éternelles… les cierges tremblent déjà. Le Salut est en péril. Nous aurons droit à toute la panoplie : des tribunes enflammées, des lettres de protestation, une déferlante de discours… des réactions violentes, voire haineuses sur les réseaux sociaux.
Je ne suis pas là pour défendre Marine Rosset ; elle est assez grande pour se défendre elle-même… Ni les membres du conseil d’administration, car cela a peut-être échappé à certains : Marine n’a pas fait un coup d’État. Elle a été élue présidente par vingt-trois hommes et femmes représentant le conseil. Eh oui !
D’entrée de jeu, ce que je trouve fascinant, c’est que les catholiques supérieurs croient dur comme fer que l’Église sera sauvée en posant des balises, des clôtures, des barbelés doctrinaux. Ils croient qu’on éduque des jeunes en leur imposant où il faut aller, qui il ne faut pas aimer, ce qu’il ne faut pas penser. Mais la réalité est tout autre. La vérité, c’est que, dans beaucoup de familles dites « catholiques exemplaires, bonnes sous tout rapport », les choses sont plus compliquées qu’on ne veut le faire croire. Les apparences sont trompeuses. Les catholiques supérieurs ont des enfants homosexuels, des jeunes qui ont recours à la PMA, des divorcés, des familles recomposées… homoparentales, des mères qui refont leur vie même avec une femme. Des pères qui refont leur vie même avec un homme. Et pourtant, les supérieurs continuent à faire semblant, comme si tout cela n’existait pas, ou pire : comme si c’était honteux. On ferme les yeux, on baisse la voix, on fait semblant. Mais à quoi bon croire en un Dieu d’amour si c’est pour cacher ce que l’on est… ceux qu’on aime ? Peut-être qu’il est temps d’ouvrir les fenêtres, d’aérer un peu les discours et de regarder nos vies telles qu’elles sont… humaines, imparfaites, mais profondément dignes.
Mais les jeunes ne sont pas dupes. Quand ils sentent qu’on les prend pour des naïfs et je pèse mes mots — ils s’en vont et ne reviennent plus. À force de vouloir sauver les apparences, on perd leur confiance… et au revoir tout le monde. Les jeunes savent, dans leur grande majorité, que la vie est plus complexe qu’un prêche, plus tordue que les lignes imposées surtout quand les parents affrontent leur propre part du désordre… mais en silence, bien évidemment.
Il ne faut pas tourner autour du pot. Les Scouts et Guides de France (SGDF) sont un mouvement d’Église (catholique) reconnu par la Conférence des évêques de France (CEF) comme mission apostolique. Ils ont un aumônier national proposé par les évêques, Xavier de Verchère, prêtre salésien. À noter que les Salésiens sont des religieux appartenant à la congrégation de saint François de Sales, fondée par Don Bosco à Turin, en Italie, en 1859. Les Salésiens dirigent des écoles, des collèges, des foyers pour jeunes, des centres de formation professionnelle, des mouvements de jeunesse. Ils sont présents dans les quartiers populaires, les pays en développement, ou partout où la jeunesse est vulnérable. La pédagogie éducative est dans leur ADN. L’évêque référent est Mgr Lagadec, évêque auxiliaire de Lyon.
Arrêtons l’hypocrisie. Le prêtre Xavier de Verchère aurait dit : « Je ne m’associe pas à ce choix. » Mais c’est fort de café. Marine Rosset, avant d’être présidente, était vice-présidente. S’est-il opposé à ce choix à l’époque ? Et je vois dans la presse Clément Barré, aumônier des scouts à Bordeaux, exprimer son profond malaise. Côté évêques… silence radio.
Je défends Marine Rosset en tant que personne humaine. La question qui demeure : fait-elle du prosélytisme ? Véhicule-t-elle ses opinions dans la pédagogie proposée à toutes les patrouilles de chaque diocèse ? Et puis, si c’est vraiment un problème, c’est simple : soit on demande au conseil d’administration (vingt-quatre membres) de changer immédiatement de président, soit la Conférence des évêques de France excommunie les Scouts et Guides de France — c’est-à-dire leur retire le label « catholique », et de facto, le mouvement ne doit plus s’exprimer au nom de l’Église. C’est simple.
En attendant, on baigne dans la tartufferie… et la bigoterie s’en réjouit.
Que va-t-il se passer ? Avec l’élection de Marine Rosset, Dieu va-t-il détourner son regard des centaines de patrouilles des Scouts et Guides de France ? Et notre Seigneur Jésus ? Ce marcheur infatigable de Galilée, lui qui fit route avec les disciples d’Emmaüs, refuserait-il de faire route avec les patrouilles scouts ? C’est absurde de penser cela. C’est mal connaître notre Seigneur Jésus que d’imaginer qu’il juge les présidences humaines. Il n’est pas l’auditeur d’un conseil d’administration. Notre Seigneur Jésus regarde les cœurs. Et chez les Scouts et Guides de France, il trouve encore des cœurs qui battent avec l’amour comme boussole.
Le scoutisme, un héritage vivant à ne pas déléguer les yeux fermés
Je suis convaincu qu’il y a des patrouilles formidables. Des chefs et des cheftaines extraordinaires : ils sont là, engagés, donnant une partie de leur été, leurs week-ends, pour éduquer des enfants et des adolescents à l’autonomie, à la responsabilité face à la nature et à la solidarité. Ils ne brandissent pas leur foi comme une injonction, mais la vivent comme une lumière discrète dans le service. Et les prêtres, aumôniers ruraux, souvent oubliés des grands plans pastoraux, tiennent la maison scoute. Par leur présence. Par une parole ajustée. Par leur connaissance fine du terrain. Ils ne cherchent pas à faire du bruit. Ils tiennent bon, en terre de silence. Arrêtons de les stigmatiser à cause d’une élection nationale.
Le livret éducatif des SGDF ne parle pas d’avortement, ni de genre, ni de familles homoparentales, et encore moins d’engagements partisans. Je suppose que l’aumônier a son mot à dire dans son élaboration… et que tous les aumôniers locaux, voire les évêques eux-mêmes, donnent leur avis.
Une chose qui nous échappe trop souvent, c’est que le scoutisme qu’il soit de France, d’Europe, unitaire ou issu d’autres mouvements n’est pas neutre : il propose une vision du monde, une manière d’éduquer, parfois même une théologie implicite. Les parents, confiants, délèguent volontiers, oubliant que la transmission des responsables, la formation reçue, les références portées en veillée, méritent une vigilance lucide. Et ce qui échappe à tous, c’est que bien des parents eux-mêmes sont d’anciens scouts : ils ont donc non seulement le droit, mais le devoir de questionner ce que l’on transmet aujourd’hui à leurs enfants au nom de cette tradition. Car si le scoutisme est un trésor mal gardé, il peut aussi devenir un petit pouvoir clos… là où il devrait rester un chemin de liberté, partagé entre générations. C’est important de le souligner.
Le scoutisme, une écologie qui marche et qui sert
S’il est un domaine où les Scouts et Guides de France ne se contentent pas de faire semblant, c’est bien l’écologie. Pas de déclaration frileuse ni de pudeurs doctrinales. Le contact avec la terre des sentiers, la conviction dans le sac à dos. Le scoutisme vit l’écologie… vraiment.
Depuis toujours, les scouts apprennent à ne rien laisser derrière eux, à respecter la nature comme un sanctuaire. Les scouts ramassent leurs déchets et enterrent leur papier toilette recyclable. Grande pédagogie du terrain que les experts du climat ne mentionnent jamais. Les SGDF ne se contentent pas de trier leurs déchets : ils participent à de grandes actions écologiques. On les a vus nettoyer des plages, assainir des rivières. On les a vus sur les collines ensoleillées du Sud, participant à la protection des forêts méditerranéennes… patrouillant les sentiers, surveillant les massifs, épaulant les pompiers dans la prévention des incendies. Ces adolescents vivent une expérience à la fois formatrice et solidaire.
Vous croyez qu’ils n’ont rien à faire de l’écologie intégrale, dans la ligne de l’encyclique Laudato si’ du pape François ? Il ne s’agit pas de préserver les oiseaux, mais de sauver l’homme avec eux… en changeant nos modes de vie, nos rapports à la consommation, nos manières d’habiter la terre.
Les scouts savent faire de leur camp bien plus qu’un simple lieu de vie : ce sont de véritables espaces d’apprentissage, où la nature devient un chemin d’éducation intégrale. On y expérimente la joie dans les éléments naturels. On y réfléchit aux enjeux climatiques, aux inégalités sociales, aux solidarités de notre monde… et beaucoup de patrouilles relient tout cela à la foi chrétienne. Dans leur pédagogie, l’Évangile ne se détourne pas de la terre : il l’habite.
Certains y voient un excès d’engagement, une teinte trop militante ou radicale… pendant que d’autres doutent ou ironisent. Aux scouts, les mômes apprennent à aimer, à s’entraider et à servir.
L’esprit scout ne sommeille pas l’hiver. Loin des bivouacs d’été, on retrouve les Scouts et Guides de France lors de la collecte annuelle de la Banque alimentaire, ou auprès des personnes âgées qu’ils visitent. À Noël, ils préparent des repas pour les isolés… certains rejoignent des équipes de maraude, à la rencontre de ceux qui dorment dehors.
L’engagement scout ne dépend ni de la saison, ni de la météo. Il prend racine dans un serment de service : « Toujours prêt. »
Un souffle de fraternité, et une foi qui ne craint ni le froid, ni l’oubli.
Le scoutisme, catéchisme incarné
En tant que catholique libertaire… j’ai beaucoup d’estime pour le scoutisme. Qu’il soit de France, d’Europe ou unitaire. Ne divisons pas les enfants.
Ce qui m’émeut chez eux, ce n’est pas seulement leur passion des hauteurs, des forêts et des plaines, ni leur tente qui parfois s’agite au vent… ni leur courage face aux intempéries. C’est leur cœur habité par un élan silencieux vers les plus petits, les plus fragiles… ce service qui est une prière en soi.
Chez ces mômes-là, la foi n’est pas un supplément d’âme, c’est une école de la vie, une liturgie du réel. Le terrain est leur autel… on a vu des aumôniers y célébrer la messe. La création est leur catéchisme, l’eau des rivières et des lacs leur baptême quotidien, et le service, une manière d’Évangile incarné, où chaque geste devient une offrande, et chaque rencontre un sacrement d’espérance.
L’Évangile de Marc, une parole qui marche
Le catalogue Jeunesse et Éducation 2024-2025 propose aux Scouts et Guides de France une démarche spirituelle avec l’Évangile de Marc. L’évangéliste fut le compagnon de route et collaborateur de l’apôtre Pierre, dont il aurait retranscrit la prédication dans un style vif et dépouillé. Son récit est le plus ancien, centré sur un Jésus en marche, en tension, souvent seul, mais toujours tourné vers les pauvres. Une narration directe… sans ornement… prête à rejoindre le cœur des jeunes.
Les jeunes peuvent y trouver le Seigneur Jésus incarné, vulnérable mais libre.
Marc n’occulte ni l’échec, ni la peur. Il les traverse et les transfigure. Il invite les jeunes à suivre le Seigneur Jésus non pas dans le confort, mais avec courage, dans l’action et le service. Il montre que le Seigneur est proche des exclus, qu’il guérit, relève et marche. Il enseigne que la foi, c’est dire « oui » même quand nous avons peur, comme les femmes au tombeau.
Notre Seigneur Jésus rappelle que chacun, même scout en short et sac à dos, peut devenir messager de la Vie.
Scouts de France, flamme vivante d’aujourd’hui
Alors oui ! Bénis soient les Scouts et Guides de France… et l’ensemble de la famille scoute. Ils bâtissent, chantent, doutent sûrement, mais ils recommencent dans la joie et l’amitié.
Bénie soit cette jeunesse qui, foulard au cou et cœur battant, apprend à servir dans la joie et à croire sans prétendre tout comprendre. Que leur sagesse les précède sur les sentiers escarpés, pour faire de leurs pas un chemin d’Évangile, et que leur feu de camp éclaire les ténèbres de notre monde.
Didier Antoine REY (DAR), catholique libertaire indigne.