Le silence de Don Matteo, ou le cri que l’Église n’a pas voulu entendre

Publié le 11 juillet 2025 à 17:45

Un jeune prêtre s’est donné la mort dans le silence, laissant derrière lui une Église bouleversée et une question vertigineuse : comment un homme de Dieu peut-il sombrer ainsi, sans que personne ne le voie venir ? Ce drame oblige à regarder en face la solitude cachée de ceux que l’on croit infaillibles, mais qui, eux aussi, ont besoin d’écoute, de répit… et de tendresse.

Cette semaine, l’effroi s’est emparé de moi lorsque j’ai vu dans la presse la terrible nouvelle, au sein de l’Église catholique, d’un jeune prêtre italien qui s’est donné la mort… terrible tragédie. Il avait 35 ans (deux ans de moins que mon fils). Un âge où l’élan de la vie est enthousiaste, et la ferveur en est le battement secret. Don Matteo Balzano, vicaire de la paroisse de Cannobio, en Italie, s’est ôté la vie samedi 5 juillet dernier, dans le silence. Sans bruit… sans fracas… sans lettre… portant avec lui son mystère, et le poids de son silence. Mais certains bruits vont courir dans les coins reculés des consciences. Un jeune prêtre s’est suicidé. Un homme de Dieu, diront certains… mais en réalité, c’est d’un homme tout court, sans qu’on l’ait vu vaciller.

Je ne suis pas un observateur neutre. Je suis un catholique qui a pris ses distances vis-à-vis de l’Église… un libertaire qui dénonce et combat les abus de pouvoir d’une hiérarchie religieuse. Un de ces croyants en retrait qui continue de croire au Seigneur Jésus… tout en gardant ses distances avec l’institution.

 

Un vide sous les apparences

J’ai lu beaucoup d’articles concernant ce drame. Qu’on se le dise : Don Matteo n’était pas un homme sans repères. Il n’était pas « fragile », comme on chuchotera sans doute dans le fond de l’église, sur le parvis, sur les bancs publics, dans les ruelles du village… pour exorciser la gêne… ou simplement pour chercher, ou inventer, une explication. Les cancans iront bon train. Il était de ces prêtres de village qui tiennent debout le plan de la vie pastorale : animations, catéchèse, célébrations, camps d’enfants, veillées de prière. Il s’était occupé dernièrement du camp d’été de Grignasco, désormais annulé. Il incarnait l’Église de proximité, simple, humaine, enracinée depuis deux ans dans la vie ordinaire des fidèles. Et pourtant, au cœur de ces activités paroissiales… visiblement, un vide s’est creusé en lui… profond, inavoué, peut-être même nié… jusqu’à l’irréparable.

 

Le cri du silence et de la solitude qu’on n’entend pas

C’est cela que l’Église doit affronter : le ministère sacerdotal peut être, sans qu’on le décèle, une solitude… même habillée de sacré, que nul ne songe à interroger. Une fatigue sans droit à l’abandon. Une souffrance cachée (comme beaucoup d’autres) sous le rituel des homélies. Et l’institution ecclésiastique, dans sa bienveillance, et les laïcs supérieurs, dans leur obsession de la « vocation comme un don total », persistent à ne pas entendre ce cri : les prêtres sont des hommes… rien que des hommes et cela suffit pour mériter soutien, écoute, repos.

Et je m’insurgerai toujours d’entendre dire : « C’est un cas isolé ; la grande majorité des prêtres vivent très bien leur mission. Il ne faut pas généraliser. » Je sors de mes gonds, car cela voudrait dire ne pas s’arrêter longuement sur un problème, triste, certes, mais prétendument mineur. Je refuse de me taire face à ces âneries. Ma plume grince… mon cœur cogne plus fort que la raison.

 

Don Matteo n’est pas un surhomme, le poids invisible du sacerdoce

L’Église a des mots pour dire le Salut, des gestes pour servir les pauvres, des liturgies pour bénir la détresse humaine. Mais elle peine encore à voir que certains de ses prêtres sont, eux aussi, des pauvres parmi les pauvres. Pauvres en repos, pauvres en amitiés vraies, pauvres en reconnaissance émotionnelle.

Les fidèles les croient nourris de la grâce. Ils les supposent inépuisables, parce que choisis… appelés… ordonnés. Et quand l’un d’eux flanche, ils se taisent. Ils ne comprennent pas. Ils n’osent pas dire le mot : burn-out… surtout lorsqu’un prêtre a la charge de plusieurs paroisses.

Dans bien des esprits, un prêtre ne devrait pas pouvoir craquer. Il est censé être porté par sa vocation… il a été formé pour discerner pour les autres et pour lui-même. Il ne souffre pas, car il offre. Il ne doute pas, car il enseigne. Il ne se fatigue pas, car il prie. Il n’a pas de problème financier : son loyer et son électricité sont pris en charge, il mange à sa faim, il reçoit un salaire… et ne sera jamais inscrit au chômage.

Cette vision de privilégié, idéalisée, tue à petit feu. Mais Don Matteo vit dans la même matière humaine que nous. Il se lève à l’aube, il écoute des dizaines de détresses par semaine, il enterre, baptise, marie, accompagne, conseille, organise des rencontres, célèbre le dimanche, console sûrement en heures supplémentaires. Il n’a pas un emploi « pénard »… et pourtant il ne trouve pas toujours de consolation pour lui-même. Et parfois, le soir venu, il ferme la porte du presbytère sur une solitude vertigineuse — celle qu’on ne confie à personne… peut-être à Dieu… et encore.

Combien sont-ils, comme Don Matteo, à porter la charge d’un ministère qu’ils n’osent plus questionner ? À vivre sans faillir, parce que faillir signifierait trahir une armée de fidèles et Dieu, par la même occasion. Combien souffrent, ces Don Matteo, enfermés dans une vision sacrificielle du service, incapables de dire : « J’ai besoin d’aide », de crainte d’être jugés sur l’appel qu’ils ont reçu.

Je n’ai pas pris cette plume pour dénoncer, mais pour m’interroger. Admettre que l’épuisement (et je sais de quoi je parle, même si je ne suis pas prêtre) n’est pas une défaillance spirituelle, mais une réalité humaine. Comment peut-on continuer à faire peser sur un seul homme la charge émotionnelle de toute une communauté ?

 

Et Dieu dans tout cela ?

Je ne crois pas que Dieu ait détourné le regard… bien au contraire. Je crois même qu’Il était là, ce samedi. Là, dans la chambre de Don Matteo. Et nous ne savons rien d’autre. Et c’est là notre drame humain.

Mettre fin à sa vie ne supprime pas la grâce… ce que l’Église a fini par admettre depuis Vatican II. Il aura des funérailles à l’église. Le désespoir ne supprime pas la miséricorde… et le Seigneur Jésus ne compte en rien son geste… ni ses moments sombres.

À Cannobio, le glas sonne. Sa famille, ses proches et la communauté sont en deuil. C’est terrible. L’évêque est là, avec des prêtres diocésains qui s’interrogeront. On fera son éloge… Le maire Gianmaria Minazzi sera présent, bouleversé par cette nouvelle.

Mais au-delà des rites, avant que je repose ma plume, j’espère que l’Église entendra enfin le murmure de ses fils exténués. Qu’elle cesse de répondre au tragique par des formules que les catholiques retirés de l’institution ne veulent plus entendre.

Que certains… baptisés ou non… arrêtent d’utiliser les prêtres comme des distributeurs de grâces, alignés comme des machines à bénédictions, des livreurs du sacré sur commande. Des automates de l’absolution, des numéros d’appel d’urgence pour une consolation immédiate… sans jamais se demander, une seconde, s’ils n’auraient pas besoin eux aussi d’être consolés.

Que Dieu accueille Don Matteo dans son Royaume.

 

Didier Antoine REY, catholique libertaire insignifiant